Article aujourd’hui archivé par Le Plus
Ce dimanche, M6 nous révélait les affres de la vie étudiante américaine. Un tel reportage nous ferait presque aimer le système européen, voire français ! Pourtant, ne nous y trompons pas, l’Enseignement Supérieur français connaît des maux très similaires que nous préférons taire.
Le prix des études, entre bourse et « prostitution »
Parmi les thèmes chocs du reportage, impossible de ne pas penser au prix des études, où l’on voit des étudiants s’endetter sur une période interminable et à des montants astronomiques. L’argument selon lequel le prix de ces études est un « investissement sur l’avenir » n’est alors plus acceptable.
La situation française n’est pas aussi catastrophique. En effet, le pacte social et républicain mène les établissements privés et/ou consulaires, dans la majorité des cas, d’une part à dispenser les étudiants boursiers des frais de scolarité, d’autre part à plafonner ces frais à une dizaine de milliers d’euros (bien loin, donc, des montants américains).
Une école telle que l’Edhec en a pris conscience et envisagent une baisse de ses frais de scolarité. Mais bien au-delà, les établissements d’enseignement supérieur prennent un virage fondamental dans leurs politiques de recrutement. En effet, les classes prépa ne sont plus les voies royales pour atteindre les écoles de commerce et d’ingénieur. Les admissions parallèles sont de plus en plus développées, rapprochant enfin ces établissements des universités. Enfin mettront-elles peut-être fin à la dichotomie entre universités et grandes écoles.
La vie étudiante a aussi un coût. En ce sens, les bourses constituent un moyen de financement central pour les étudiants. Le critère du mérite à l’américaine est discutable, de mon point de vue. En revanche, les bourses au mérite françaises, qui récompensaient les bacheliers obtenant une mention très bien au Bac, doivent être rétablies ! Il s’agit de la condition sine qua non de la reconnaissance de la réussite des étudiants, quelles que soient leurs filières.
Enfin, cessons de nous voiler la face, le financement des études ou du train de vie de certain(e)s étudiant(e)s en France passe aussi par des pratiques que certains qualifient de « prostitution ». Bien évidemment, le phénomène n’est pas aussi répandu qu’aux Etats-Unis. Mais il existe : mes proches et moi-même avons pu le constater sur certains campus. Et commence à toucher de plus en plus de jeunes hommes. Il est le signe du désespoir évident d’une frange de la Jeunesse, qu’il nous faut écouter et entendre.
Ces si belles soirées … dont on ne se souvient pas
Les taux d’alcoolisation annoncés dans le reportage font frémir. L’excès américain, serait-on tenté de clamer pour nous rassurer. Que nenni. Chaque année, plus de 400 000 hospitalisations sont dues à des alcoolisations excessives en France. Pire, sur les 50 000 morts chaque année liés à l’alcool, 22 % d’entre eux ont entre 15 et 34 ans.
L’alcool chez les étudiants est un fléau bien connu et qui ne discrimine pas socialement ! Peu importe votre niveau d’études, votre catégorie sociale d’origine ou votre filière, vous serez toujours confrontés à un moment ou à un autre à ces fameuses soirées étudiantes durant lesquelles vous passez les meilleurs instants de votre vie … effacés et oubliés à grands renforts de vodka.
Je ne sombre pas dans la caricature, comme le démontre tristement la vague de jeunes morts en 2012 parce que tombés dans la Garonne à Bordeaux après des soirées étudiantes trop arrosées. La responsabilité et la mobilisation des autorités et des organisateurs ont permis à de telles tragédies de ne plus se reproduire.
En revanche, notre lutte ne sera jamais assez puissante et assez forte contre le bizutage. N’attendons pas d’en arriver à la situation américaine, quand les jeunes gisent dans les locaux des fameuses confréries, si alcoolisés qu’ils n’ont pas de souvenirs des sévices que leurs « frères » leur ont fait subir, sans parler des morts. Le décès en octobre 2012 d’un saint-cyrien laisse déjà trop de marques.
Le bizutage est un mal que nous devons combattre fermement et avec autorité. Même si les « bizutés » sont consentants, je n’accepterai jamais ces atteintes à leur dignité ou encore ces situations dégradantes à l’attention des jeunes hommes comme des jeunes femmes, placés dans des postures indécentes, peu ou pas vêtus.
Le bizutage comme vecteur d’intégration sociale ne doit plus être. La mobilisation de la conférence des grandes écoles est forte, celle de la conférence des présidents d’universités est croissante. Nous devons tous nous allier, y compris les associations étudiantes, contre ce fléau, dont on ignore trop le danger au titre de la tradition.
Le sport comme fédérateur
Le reportage nous présente également les fameuses et reconnues compétitions sportives, symboles de l’American Way of Life dont les européens, et notamment les jeunes, rêvent. Quel bonheur d’y voir se réunir la majorité des américains, des plus modestes à certains aisés, autour de cette grande messe sportive. Un modèle à suivre ?
Il faut savoir se méfier de la manière dont sont instrumentalisés les étudiants au service de leur école ou de leur université. Ils ne sont plus libres de leurs propos ni de leurs actes, puisque devenus de véritables ambassadeurs. Si la formation d’une identité universitaire est clairement positive à mon sens, il convient aussi de séparer la vie personnelle de celle-ci. Se méfier, donc, du travers de l’intégration des valeurs de l’établissement, au détriment des siennes. On ne se définit plus par ce que l’on est mais par un mot : « HEC », « INSIGNIS », « ESSEC »…
Loin de moi l’idée de donner de l’importance à un phénomène qui ne le mériterait pas. Mais je crois important d’insister sur le glissement auquel nous assistons impuissants, celui qui nous pousse à une forme de corporatisme et d’entre-soi. S’il y a rassemblement, il est entre les murs, sans oublier même le mépris des autres filières. Un drame social dans une vie professionnelle hétéroclite.
La drogue, symbole des maux d’une société ?
Enfin, la France a un temps de retard sur les Etats-Unis, et ne nous en plaignons pas. J’aborde ici, naturellement, la question des drogues, et notamment des amphétamines et de leurs dérivés. Les étudiants américains en consomment au même titre que les boissons énergisantes, omettant les effets dévastateurs de celles-ci sur leur santé et leur vie future. Les drogues, douces comme dures, sont le symbole d’une société, non pas qui va mal, mais qui parfois se perd. Mais aussi d’une Jeunesse qui teste ses limites, oubliant parfois le danger pour le plaisir de l’interdit.
Les Etats-Unis sont le symbole de la mobilité sociale et de la réussite accessible à tous. Ces étudiants se drogueraient-ils s’il s’agissait de la réalité ? Auraient-ils si peur du déclassement ? Un étudiant sur deux, aux Etats-Unis, quitte l’université sans diplôme, ne l’oublions pas. La France possède sa propre structure sociale, avec son lot d’inégalités. Beaucoup rappellent que l’ascenseur social est en panne, et que la méritocratie républicaine est à bout de souffle. La peur de l’échec est omniprésente, y compris sur les bancs du Supérieur. Nous n’avons pas le droit d’échouer en France, et tel est le pire de nos maux, bridant l’innovation et la créativité.
Je ne cherche pas à généraliser ou à enfermer les jeunes dans des stéréotypes, bien au contraire. Je défends une nouvelle image de la Jeunesse, qui réussit, qui entreprend, qui a de l’audace. Et c’est parce que je crois en cette Jeunesse-là que nous nous devons d’être lucides sur les difficultés qui la rongent et qui l’handicapent.
Rétablissons la bourse au mérite, soyons plus souples sur le financement étudiant, luttons fermement contre l’hyperalcoolisation, les drogues et le bizutage, acceptons la diversité et l’ouverture sociale. A condition que nous sachions aussi reconnaître les belles réussites de notre Jeunesse.